« Je sais, mais je leur fais pas confiance... »
Les chiffres ne font pas l'objet d'enquêtes systématiques, mais on voit dans des articles que moins de 50% de salariés disent à leur responsable ou à leur direction du personnel qu'ils sont aidants. Dans d'autres articles, on peut lire que si un salarié qui a en même temps un rôle d'aidant décide d'en parler, ce sera essentiellement à ses collègues de travail, à son responsable direct, mais en moindre proportion, et généralement ni à la direction du personnel, ni au médecin du travail. Dans un colloque organisé par l'UNAFAM et l'ORSE en novembre de l'année dernière, une représentante de la Direction des Ressources Humaines de Casino disait que moins de 1 pour 1000 du personnel utilisait le support gratuit de réponses à leurs questions d'aidant mis à leur disposition auprès d'un organisme extérieur. « Je leur fais pas confiance » est une phrase terrible par sa concision, elle m'a été dite par une aidante à qui je demandais pourquoi elle n'utilisait pas le soutien psychologique mis en place dans sa société.
Qui est le « leur » ?
Le « leur » du « je leur fais pas confiance », c'est le responsable direct, c'est la direction du personnel, c'est l'entreprise jugée dans son ensemble par le salarié qui hésite à dire qu'il est aidant d'un proche. Pour en parler, il faut que le salarié se sente en confiance. Il faut qu'il se sente en sécurité, que le fait de dire à son responsable ou à la direction du personnel son rôle d'aidant ne soit pas un risque ensuite de discrimination, et enfin, que le fait d'en parler pourra permettre de mettre en place une solution conciliant réellement ses deux responsabilités, celle vis-à-vis de son entreprise, celle vis-à-vis de son proche dépendant.
Le sentiment de culpabilité de ne pas bien faire son travail
Trop « d'experts » semblent oublier que l'aidant est confronté à de forts sentiments de culpabilité : culpabilité de ne pas y arriver avec son proche, culpabilité de ne pas pouvoir enrayer la dépendance du proche ou sa maladie, culpabilité de ne plus pouvoir être efficace au travail. Vous aurez beau répéter à l'aidant qu'il fait de son mieux, qu'il n'est pas possible de tout faire, que la majorité des aidants (les autres aidants) sont comme lui, quand un salarié aidant rentre dans sa spirale de culpabilité, il lui faut un énorme soutien pour s'en sortir. Le directeur du Relais des aidants, Laurent Wajs, traduit bien ce sentiment de « culpabilité [des aidants]face au sentiment de ne pas être professionnellement à la hauteur car trop préoccupés vis-à-vis de la personne aidée » qui mène tout droit à l'isolement de l'aidant à l'égard de ses collègues, et de l'entreprise dans son ensemble.
Le climat de « bienveillance » de l'entreprise
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Une mesure « bienveillante » à l'égard des salariés-aidants ne fait pas un climat de « bienveillance » dans l'entreprise. Un climat de « bienveillance » à l'égard des salariés-aidants doit être voulu par les dirigeants de l'entreprise et doit être crédible donc concret. Pourquoi un salarié irait voir son responsable et lui proposer un « arrangement » sur ses horaires, ses jours de travail, le télétravail éventuel, si la réponse qu'il « redoute » est le « malheureusement, la direction du personnel ne prévoit pas une telle flexibilité, ta demande n'a aucune chance de passer » ? En parlant avec des salariés-aidants à qui je fais avec un collègue des sensibilisations au rôle d'aidant, cela se passe à la pause-déjeuner, une aidante est venue me voir à la fin d'une réunion et m'a dit : « le truc, c'est qu'on ne sait même pas qui d'autre est aidant dans la boite. Si je demande à la DRH, elle me répond que ceci est privé, qu'elle ne sait pas. Alors je connais, moi, deux ou trois collègues eux aussi aidants, mais il y en a sûrement une centaine dans une boite comme la nôtre. Un bon démarrage, ce serait qu'il y ait comme une sorte de groupe des aidants, qu'il soit officialisé, avec une représentation, que le numéro de téléphone soit connu, on pourrait le trouver sur l'intranet du Personnel ».
Les aidants ont d'abord besoin de reconnaissance
Tout aidant l'a remarqué : face à un autre aidant, la compréhension est immédiate, on se comprend à demi-mot. Face à un non-aidant, on se retrouve vite face à quelqu'un qui ne comprend pas, ou qui a peur. La « reconnaissance », c'est d'abord le fait d'être écouté et compris par son interlocuteur. Si une entreprise déléguait à des aidants la politique « aidants » à mettre en œuvre, dont l'information, tout en étant claire que tout ne pourra pas forcément être mis en œuvre, le climat de confiance pourrait changer du tout au tout.
Robert Salaison, aidant
Pas évident de devoir aider au quotidien un proche et de rester mobilisé à 100% dans son activité professionnelle. De plus en plus d'entreprises prennent conscience de ce challenge des salariés aidants et proposent des dispositifs d'accompagnement.