Vous vous rappelez ce film avec Georges Clooney, En pleine tempête, le capitaine qui cherche à pouvoir revenir quand même avec du poisson alors qu'il y a une gigantesque tempête qui est annoncée ? Hier j'ai échangé avec une collègue dans ma boite, elle m'a raconté ce qui se passait, et plus elle parlait, plus je pensais « mon dieu, mais tout est en train de se conjuguer pour que ce soit une catastrophe totale, elle va jamais pouvoir s'en sortir seule, il faut absolument qu'elle s'y mette pour de bon maintenant, chercher des solutions, définir ses limites, s'appuyer sur un réseau de soutien qu'elle va organiser... ». Je l'écoutais, et je me disais « elle a peur de ce qui va se passer, alors tant qu'elle ne se met pas à regarder lucidement tout ce qui peut se passer, elle peut se dire qu'aucune décision pénible n'est encore à prendre ». Comme le patron du bateau de pêche qui voulait absolument tenter de ramener du poisson, malgré le danger.
Jusqu'à maintenant, ma collègue « n'avait que » sa belle-mère à gérer, la mère de son mari. Son mari et sa fratrie avait pas mal pris en main les choses, et ma collègue ne voyait pas trop de conséquences encore difficiles à son niveau, mais depuis septembre, elle me dit, les choses ont empiré, sa belle-mère est devenue exigeante, très exigeante, parano même (elle a un début d'Alzheimer), et les enfants ont mis deux auxiliaires de vie pour l'aider dans la journée. Maintenant, sa situation commence à nécessiter d'avoir une présence toute la nuit mais elle refuse toute personne qui ne soit pas un de ses enfants ou petits-enfants ! Ce qui est impossible. De plus, financièrement, la famille ne peut pas le payer. Hier par exemple, elle me dit, sa belle-mère appelle en panique et finalement, son mari a été obligé d'aller dormir chez sa mère pour la rassurer. Et il y a les problèmes des médicaments qui ne sont pas pris, les auxiliaires de vie qui ne se passent pas les consignes, le coût de tout ça, et l'évidence qui montre que cela ne pourra pas durer comme cela longtemps. Plus les tensions qui montent dans la famille de son mari, car la ponction financière chaque mois commence à être ressentie durement.... et les « sacrifices » financiers ne semblent pas toujours apporter de solutions « apaisantes ». Les vacances, les WE de détente doivent faire l'objet de concertations familiales pour qu'il y ait toujours quelqu'un de présent... ce qui entame l'envie d'organiser des moments de détente et augmente les tensions !
Et ma collègue poursuit : « c'est au tour de mon père maintenant, il vient d'être diagnostiqué avec la maladie à corps de Lewy, et j'ai peur, j'ai été sur internet et ça fait peur ce que j'ai lu. Mais là en plus, ma belle-mère (parce que mon père s'est remarié) qui a 10 ans de moins que lui ne rate pas une occasion de me faire comprendre que mon père la « bride » dans sa vie quotidienne, dans ses sorties, dans ses envies de voyages (« Ah c'est sûr, avec ton père il faut oublier les voyages ! ça devient difficile de bouger...Il veut voir une pièce de théâtre et quand on y est, il me demande pourquoi j'ai choisi cette pièce pourrie dans ce théâtre pourri ! »). Elle avoue avoir du mal à supporter la manière dont il se comporte, même si elle reconnait que « ce n'est pas de sa faute ». Bref, elle se plaint pas mal. L'entendre sans arrêt houspiller mon père, ou me dire que des choses négatives voir l'infantiliser de plus en plus, tout cela se rajoute, et franchement, cela me perturbe. Je comprends son désarroi, je lui explique qu'il faut voir papa comme un vieux monsieur (même si pour moi 79 ans n'est pas si vieux de nos jours !) avec des problèmes de santé et que rien n'est intentionnel ni malveillant de sa part. Je comprends donc son désarroi mais il faut aussi que je gère le mien ! Ce qui est certain, c'est que s'il faut mettre de l'argent du côté de mon père pour les aides à domicile ou un établissement d'accueil, et pour ma belle-mère (mère de mon mari) les choses vont se compliquer. Mais au-delà du financier c'est surtout l'affectif et l'idée de voir décliner mon père qui me fait peur ».
Là elle s'est tue. Les yeux, ça ne trompe pas. Ma collègue était déjà au bord du stress total. Alors je lui ai parlé, je lui ai dit ce qu'elle pourrait faire, ce qu'elle devrait faire. Elle m'a promis de le faire. Je lui ai dit que j'allais la mettre en contact avec une autre aidante que je connais et dont le père lui aussi a la maladie de corps de Lewy. Elle était contente à cette idée. Elle ne connaissait pas les forums d'échanges entre aidants sur Internet. Je lui ai parlé des échanges aussi par téléphone entre aidants. Je lui ai parlé de l'organisation de son temps, de ce qui pouvait être délégué en y réfléchissant, de ce qu'elle devait garder comme tâches, et je lui ai dit : « cela va être difficile, mais si tu prends du recul en permanence, si tu t'imposes pas de perfection, si tu acceptes que les choix ne seront que des choix entre des mauvaises solutions, alors tu pourras t'en sortir en limitant la casse. Et si tu peux faire ton réseau de soutien autour de toi, de ton mari, avec d'autres aidants, ce sera bien. »
Oui, les choix ne sont qu'entre des mauvaises solutions, jamais entre des bonnes solutions. Dur à admettre, mais c'est le seul moyen de survivre.
« En pleine tempête ».
Respectpourlesaidants, aidante
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